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Shoah en Autriche

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Shoah en Autriche
Image illustrative de l’article Shoah en Autriche
Déportation de Juifs autrichiens à Vienne, en 1942. Leurs bagages sont chargés sur une charrette.

Date mars 1938 - février 1945
Lieu Autriche
Victimes Juifs autrichiens
Type Extermination systématique des Juifs d'Europe par le Troisième Reich
Morts 65 000
Ordonné par Troisième Reich
Guerre Seconde Guerre mondiale

La Shoah en Autriche recouvre les persécutions, les déportations et l'extermination subies par les Juifs d'Autriche entre 1938 et 1945[1]. Ces exactions ont provoqué l'assassinat de 65 000 Juifs et 125 000 autres ont fui le pays.

Avant l'Anschluss

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Situation des Juifs en Autriche avant 1938

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Dans les années 1930, les Juifs prospèrent en Autriche et comptent des personnalités de premier rang dans les sciences, l'art, le commerce, l'industrie[2]. Au moment du rattachement de l'Autriche à l'Allemagne nazie en 1938, la population juive en Autriche s'élève à 192 000 personnes environ, dont la majorité vit à Vienne[1].

Le pays possède une forte tradition d'antisémitisme[3]. En 1922, pour railler l'antisémitisme vicieux dont les étudiants de Vienne font souvent les frais, Hugo Bettauer écrit un roman futuriste : La Ville sans Juifs (en), qui se révèle tragiquement prémonitoire[4].

L'Anschluss

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Hitler prononce un discours sur la Heldenplatz en mars 1938.

Dès 1933, quand Adolf Hitler parvient au pouvoir en Allemagne, l'annexion de l'Autriche devient l'un des principaux objectifs de sa politique étrangère[5]. L'Autriche est incorporée au Troisième Reich le [6] ; le lendemain, l'armée allemande entre sur le territoire autrichien où elle est accueillie par la population locale avec des saluts et des drapeaux nazis[7]. Une loi est votée pour proclamer que l'Autriche « fait partie de l'empire germanique » sous le nom d'Ostmark. Le 10 avril, le référendum de l'Anschluss a lieu en Autriche et, selon les sources officielles du Reich, 99,08 % de la population a participé et 99,75 % des suffrages sont favorables[8].

Violences et persécutions antisémites

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Des citoyens juifs sont forcés de s'agenouiller et de nettoyer le sol sous le regard de nazis et d'habitants viennois. Avril 1938. Collection USHMM.

Les persécutions commencent immédiatement après l'Anschluss et elles sont d'une violence marquante[9],[10]. Les lois allemandes sur la race sont promulguées en Autriche : les Juifs sont déchus de leurs droits. Selon ces lois, 220 000 personnes sont désormais considérées comme juives en Autriche, alors qu'auparavant le nombre était établi à 182 000. Les communautés juives subissent une réorganisation forcée sous la férule d'Adolf Eichmann. Toutes les associations juives sont dissoutes, les périodiques juifs interdits, les dirigeants et les cadres de ces organes sont arrêtés. Les Juifs n'ont plus le droit d'emprunter les transports en commun. De nombreux Autrichiens se joignent aux nazis pour terroriser des victimes juives. Des humiliations publiques sont imposées : des Juifs sont obligés de laver des trottoirs et des toilettes publiques, parfois avec une brosse à dents ou à mains nues[11],[12]. Les membres juifs de l'Université de médecine de Vienne sont congédiés[13].

Pendant la nuit de Cristal en novembre 1938, des pogroms contre les Juifs sont commis en Allemagne et en Autriche. Des synagogues sont profanées et détruites[14], les magasins et les maisons appartenant aux Juifs sont pillés[15].

Le , le premier camp de concentration autrichien est ouvert à Mauthausen[12].

Pillage des biens appartenant aux Juifs

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Les biens des Juifs sont saisis par des Autrichiens dans le cadre de la Shoah. Des transferts massifs de domiciles, d'entreprises, d'immeubles[16], d'actifs financiers et d'œuvres d'art[17] passent des Juifs aux non-Juifs[18],[19]. Un mécanisme préparé avec soin organise le pillage, la conservation puis la revente des biens des Juifs ; y participent la Gestapo, le Vugesta, la maison d'enchères du Dorotheum, divers transporteurs et musées de Vienne[20].

Migration forcée

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Des personnalités célèbres s'exilent, comme Sigmund Freud et Imre Kalman.

Ségrégation, déportation et extermination

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En octobre 1939 commencent les déportations des Juifs autrichiens vers la Pologne occupée, qui s'inscrivent dans le plan Nisko consistant à rassembler tous les Juifs d'Europe sur un seul territoire d'où ils ne peuvent circuler. 1 584 personnes sont envoyées dans le district de Lublin[21].

La déportation des Juifs dans les centres d'extermination nazis commence en février 1941 et s'accélère après la conférence de Wannsee. Officiellement, la communauté de Vienne est liquidée le , date où l'Autriche ne compte plus que 7 000 Juifs ; les déportations se poursuivent jusqu'en mars 1945[22],[23].

D'après certaines sources, la Shoah a provoqué la mort de 60 000 à 65 000 victimes autrichiennes - soit la quasi-totalité de ceux qui n'ont pas fui avant la Seconde Guerre mondiale. Quand Vienne est libérée par les troupes soviétiques le , il reste moins de 800 Juifs en Autriche (principalement les conjoints de citoyens autrichiens)[24].

Auteurs des atrocités

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Adolf Hitler se suicide le . Arthur Seyss-Inquart est condamné à mort aux procès de Nuremberg et exécuté en 1946. Néanmoins, de nombreux nazis autrichiens ont échappé à toutes les poursuites. Ainsi, Franz Josef Huber, directeur de la Gestapo responsable de l'assassinat de dizaines de milliers de Juifs autrichiens, travaille pour les renseignements allemands après la guerre et il est protégé contre les poursuites[25].

Protestations et résistance intérieure

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En date du , le mémoral Yad Vashem a reconnu 106 Autrichiens en tant que « Justes parmi les nations » car ils ont aidé et secouru des victimes juives, au péril de leur vie, pendant la Shoah[26].

Monument aux victimes de la Shoah à Bruck an der Leitha.

Jusque dans les années 1980, la société autrichienne adopte la vision qu'elle est « la première victime du nazisme (en) », selon laquelle la population est victime du Troisième Reich au lieu d'en être un soutien fervent - se dégageant ainsi de la responsabilité des crimes commis par les nazis[27],[28],[29],[30],[31].

Bien que le génocide des nazis soit très bien documenté dans les archives de la Résistance autrichienne dans les années 1960, les études critiques sur la Shoah ne percent dans l'historiographie autrichienne générale que dans les années 1980. Cette attention envers la Shoah est déclenchée par les élections présidentielles de 1986 où le passé nazi de Kurt Waldheim refait surface[32],[33]. En 1988 est fondée la Commission historique pour enquêter sur les pillages contre les Juifs à l'époque du Troisième Reich, ainsi que sur la restitution ou la compensation des biens confisqués après 1945[34].

De nombreuses villes d'Autriche ont érigé des monuments à la mémoire des victimes de la Shoah mais le pays est critiqué pour les carences en termes de particularités, par exemple le recensement des victimes. En 2020 commence en Autriche la construction d'un mémorial qui portera les noms des 64 000 victimes identifiées. 1 000 autres ont été assassinées par les nazis mais leur identité a été perdue[35].

Certains monuments ont subi des vandalismes répétés[36],[37].

D'après une enquête publiée en 2019, la plupart des Autrichiens connaissent peu la Shoah[38],[39],[40].

Négationnisme

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En Autriche, la négation de la Shoah est un délit[41],[42]. Ceux qui nient la Shoah sont poursuivis au titre du chapitre 3 de la Constitutional Prohibition Act (Verbotsgesetz 1947), modifié en 1992. La loi permet de poursuivre les personnes qui, en public, nient, minimisent, approuvent ou justifient les crimes du national socialisme. Les auteurs d'infraction s'exposent à une peine d'emprisonnement allant de 1 à 10 ans.

Plusieurs personnes ont été condamnées pour négationnisme. L'affaire la plus célèbre en Autriche est l'arrestation et le jugement de l'écrivain britannique David Irving en 2006[43].

Références

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  1. a et b (en) « Austria », sur encyclopedia.ushmm.org (consulté le )
  2. (en) « Vienna », sur encyclopedia.ushmm.org (consulté le )
  3. (en) Francois Murphy, « Hitler's birthplace shows that confronting dark past can take decades », Reuters,‎ (lire en ligne, consulté le )
  4. (en-US) « AUSTRIA'S JEWISH QUESTION », The New York Times,‎ (ISSN 0362-4331, lire en ligne [archive du ], consulté le )
  5. (en) « German Foreign Policy, 1933–1945 », sur encyclopedia.ushmm.org (consulté le )
  6. (en-GB) « Anschluss – The Holocaust Explained: Designed for schools » (consulté le )
  7. (en) Francois Murphy, « Austria remembers Anschluss, with far right now in power », Reuters,‎ (lire en ligne [archive du ], consulté le )
  8. « Propagandistische Vorbereitung der Volksabstimmung (10. April 1938) » [archive du ], (consulté le )
  9. (en) Steve Hochstadt, « The Physical Assault on Jews in Germany, 1938–1939 », dans Sources of the Holocaust, London, Macmillan Education UK, coll. « Documents in History », , 56–84 p. (ISBN 978-0-230-21440-8, DOI 10.1007/978-0-230-21440-8_5, lire en ligne)
  10. (en) « Photograph of Jews Cleaning Streets in Vienna » [archive du ], sur perspectives.ushmm.org (consulté le )
  11. « Jews Forced to Clean Vienna Streets », sur www.jewishvirtuallibrary.org (consulté le )
  12. a et b « Timeline of Jewish Persecution in the Holocaust », sur www.jewishvirtuallibrary.org (consulté le )
  13. E. Ernst, « A leading medical school seriously damaged: Vienna 1938 », Annals of Internal Medicine, vol. 122, no 10,‎ , p. 789–792 (PMID 7717602, DOI 10.7326/0003-4819-122-10-199505150-00009, S2CID 820239, lire en ligne)
  14. « Map: Synagogues Destroyed during Kristallnacht — Media — United States Holocaust Memorial Museum », sur www.ushmm.org (consulté le )
  15. (en-US) « Timeline: History of Jews in Vienna », sur Jewish News From Austria (consulté le )
  16. (en) ktv_wwalter, « Real property, tenancy rights, personal property - expropriation during the Nazi era », sur www.wien.gv.at (consulté le )
  17. « Recovering Stolen Art from the Holocaust », sur www.jewishvirtuallibrary.org (consulté le )
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  21. « Austria », Yad Vashem : « In October 1939, 1,584 Austrian Jews were deported to the Lublin district of Poland, as part of a grand plan to concentrate all of Europe's Jews in one area of the Generalgouvernement (see also Nisko and Lublin Plan). In February and March 1941 some 5,000 Austrian Jews were deported to Kielce in Poland; during 1942 they were exterminated in Belzec and Chelmno. In October 1941 the Nazis began deporting the Jews of Austria en mass. Thousands of Jews were sent to Lodz and ghettos in the Baltic region. After the Wannsee Conference of January 1942, during which steps were taken to better coordinate the murder of Europe's Jews, deportations from Austria were sped up. Thousands were transported to Riga, Minsk, and Lublin. During the second half of 1942 nearly 14,000 Jews were sent to the Theresienstadt Concentration Camp. The Jewish community of Vienna was liquidated in November 1942, leaving only 7,000 Jews in Austria - most of whom were married to non-Jews. All those strong enough to work were placed in forced labor. Small-scale deportations continued into 1943; by the end of 1944 only some 6,000 Jews remained in Vienna. »
  22. (en) ktv_wwalter, « Expulsion, Deportation and Murder - History of the Jews in Vienna », sur www.wien.gv.at (consulté le )
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    « A Nazi SS general responsible for deporting tens of thousands of Jews to death camps worked for West German intelligence after World War Two, shielded from prosecution.The protection given to Franz Josef Huber was revealed by the German spy service BND, in archives seen by German public broadcaster ARD. Huber ran the Gestapo in Vienna, the Nazis' second-biggest secret police HQ after Berlin. The US military knew about his crimes. Huber took charge of the Gestapo in Vienna immediately after Adolf Hitler annexed Austria in March 1938 and held that post until late 1944. »

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  • Österreichisches Gallup-Institut. Attitudes toward Jews and the Holocaust in Austria: a public-opinion survey conducted for the American Jewish Committee. — American Jewish Committee, 2001. — 32 p.

Liens externes

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