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Discussion:Canal de Nantes à Brest

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LES BAGNARDS de GLOMEL

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Faire passer des péniches sur les contreforts des Montagnes Noires, à 207 mètres au-dessus du niveau de la mer, relevait, au début du 19ième siècle, du défi pharaonique. Cette idée folle avait, au départ, germé dans la tête de Vauban. Tout en désenclavant Brest par les terres, en cas de blocus anglais de la rade, le futur canal aurait, du même coup, relié entre eux les grands ports militaires de Bretagne : Brest, Nantes, Saint Malo (par la Vilaine et le canal d’Ille et Rance) et Lorient (par le Blavet). Napoléon, reprenant l’idée à son compte, ordonne, en 1804, le début des travaux. La section la plus difficile, la jonction des bassins versants de l’Aulne et du Blavet dans les landes humides de Glomel, ne sera entreprise que sous la Restauration. L’eau nécessaire à la navigation et au fonctionnement des écluses constitue un facteur essentiel du projet. Après mesure des débits, la décision est prise de descendre le niveau du canal de 23 mètres, en creusant une tranchée sur 3,2 km, de manière à atteindre la cote 184. Avec un barrage sur le Korong, l'eau, à cette altitude, ne devrait pas manquer.

La mise à adjudication de cette « coupure de la ligne de partage » est ouverte début 1823. Il s’agit du lot numéro 6 qui comporte, en plus de la tranchée, la construction des deux premières écluses, Créharer, vers Brest, Quistinic, vers Nantes. Ce lot implique aussi, c’est en toutes lettres dans le cahier de charge, l’utilisation, en plus des ouvriers libres, l'utilisation de condamnés militaires, mis à disposition des ponts et chaussées par l’armée. La construction du camp qui va les héberger, un rectangle de bois et de terre, couvert de chaume, a débuté en novembre 1822 sur un terrain plus sec, situé à égale distance des deux extrémités de la future tranchée. Cette clause, l’appel aux condamnés, refroidit plus d’un entrepreneur. Charles Beslay, père, entrepreneur à Dinan, a déjà utilisé des prisonniers espagnols sur un tronçon du canal de l’Ille et Rance. Il n’en garde pas un souvenir ineffable. Il s’arrange pour laisser son fils Charles obtenir l’adjudication du marché. Quand ce jeune homme de 28 ans s’amène à cheval à Glomel, les bagnards sont déjà sur place et des émeutes ont déjà eu lieu. Il prend le chantier en main en obtenant rapidement leur confiance. Lors de la grande évasion d’août 1830, il réussira même, seul et sans armes, à les ramener à la raison. (Ce même Charles Beslay deviendra, en 1871, à 76 ans, doyen de la commune de Paris) Les condamnés viennent de plusieurs régions militaires, Bretagne exceptée, sans doute pour éviter les connivences locales en cas d’évasion. Certains ont déjà travaillé sur des chantiers identiques sur les coupures de ligne de partage du canal du Berry ou du canal de Niort à la Rochelle. Ils ont été condamnés aux travaux forcés pour des peines allant de 3 à 9 ans. Tous militaires, ils sont déjà passés en conseil de guerre. On y trouve des déserteurs opposés à la guerre d’Espagne, des objecteurs à la conscription, des bonapartistes convaincus refusant de servir la royauté, des « retardataires » (arrivés en retard au régiment), mais aussi, bien évidemment, des fortes têtes ayant fait le coup de poing contre leurs supérieurs. En cas de récidive ou de faute grave, c’est à Brest qu’on les amène pour être à nouveau jugés (1). Même s’ils n’ont ni chaînes, ni boulets, ils sont malgré tout, quelque part, les cousins des galériens du roi, puis, ces galères supprimées au milieu du 18ième siècle, des forçats des bagnes maritimes (Brest, Rochefort, Toulon) qui subsisteront jusqu’à la moitié du 19ième siècle (2). Leur nombre va constamment varier au cours des 9 ans de présence à Glomel, allant de 300 à 650. Grâces royales (deux fois par an), évasions, séjours à l’infirmerie, construite à même les baraquements, et à l’hôpital militaire, aménagé dans l’ancien château de Rostrenen, vont ponctuer la vie au camp. Charles Beslay commence par responsabiliser ses hommes en les organisant en escouades de treize individus. Chaque escouade élit librement son chef. Le travail consiste à creuser à coups de pioche puis à ramener la terre avec des brouettes sur les zones de remblais. Des charretiers du pays, à l’aide de tombereaux tirés par deux chevaux, s’occupent aussi de sortir les remblais. Il y en aura jusqu’à 25. Ils vont devenir les principaux contacts des bagnards avec le monde extérieur. C’est par eux que transitent nouvelles, chapardages (habits, souliers et couvertures), ainsi que les petits trafics quotidiens. Au début du chantier, avant l’arrivée de Beslay, les bagnards sont payés, à l’identique des ouvriers libres, soit 1 franc la journée. L’entrepreneur, décide de les rémunérer au volume déblayé, ce qui les encourage au travail et dissuade les évasions. L’administration des ponts et chaussée gère l’intendance du camp. Elle prélève les deux tiers des gains pour ses frais fixes : hébergement, habillement et nourriture des condamnés. Les concierges (de 1 à 3 selon les périodes) tiennent les cantines libres, ouvertes après le travail. Ils y vendent boissons alcoolisées (bière, cidre et vin), tabac, et complément de nourriture. Ce qui reste de la paye des condamnés passe vite dans la poche des concierges. Les 54 gendarmes, affectés à la surveillance des bagnards, logent dans le même baraquement. Plus d’une fois, ils vont être débordés. Le paludisme, appelé alors « fièvre intermittente », va décimer leur rang. En août 1830, en écho aux Trois Glorieuses qui, à Paris, vient de changer la donne politique, ils seront impuissants à empêcher l’évasion massive des 550 bagnards présents au camp. Les principales autorités concernées par ce bagne, armée, ponts et chaussée, préfet, maire, entrepreneur, confrontées à des intérêts différents, vont alors se retrouver dans la tourmente des complots et chausse-trappes politiques. Une fausse alerte au choléra signe, en mai 1832, la fin du bagne. Le camp, gangrené par la boue et l’humidité du climat, est devenu un vrai cloaque en proie aux maladies épidémiques. La tranché sera terminée par des ouvriers libres et il faudra attendre encore 10 ans pour que la première péniche puisse traverser la lande Péran. Cette ville artificielle, le camp, n’aura pas duré 10 ans, mais elle aura apporté une réelle embellie économique à la Bretagne intérieure, décrite en ce début du 19ième siècle comme « la Sibérie de la Bretagne, peuplée d’ivrognes, d’illettrés et de mendiants » (rapport de la commission de 1827 sur la nécessité des canaux). Même si les péniches se sont faites plutôt rares sur cette partie du canal, sans doute à cause du nombre d’écluses à franchir, on peut s'interroger sur le rôle défensif assigné par Vauban à l'ouvrage : une fois construit, la « Perfide Albion » n’a plus jamais attaqué la France. Aujourd’hui le canal, au lieu de servir de repoussoir, s’est plutôt transformé en attrait pour nos amis Britanniques. Vauban se retourne dans sa tombe. D'après "Les bagnards du canal de Nantes à Brest" de Jean Kergrist, éditions Keltia Graphic SPÉZET (29)

Plus d'informations dans La Marche de l'Histoire du 16 août 2011 que l'on peut écouter ici]. Avis aux passionnés. --Yelkrokoyade (d) 23 octobre 2011 à 19:50 (CEST)[répondre]