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Ethnopaléontologie

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L'ethnopaléontologie est la discipline scientifique qui étudie l'utilisation culturelle et cultuelle des fossiles par l'être humain[1]. Ce sens actuel du terme a été établi au XXe siècle par les travaux d'Adrienne Mayor, de Philippe Taquet, de Lucie Plançon et d'Éric Buffetaut entre autres[2],[3]. Elle entretient des liens étroits avec la paléontologie, l'archéologie préhistorique et historique, et l'étude des mythes.

Étymologie[modifier | modifier le code]

Le mot « ethnopaléontologie » existait déjà en français en 1867[4] mais désignait alors ce que l'on nomme au XXIe siècle la « paléoethnologie » qui étudie les arts et les industries des hommes de la préhistoire dans le but de comprendre leur mode de vie et leurs coutumes[5].

Le mot « ethnopaléontologie » se décompose en quatre parties provenant du grec ancien :

  • ethno-, de εθνός / ethnós, « peuple, populaire » ;
  • paleo-, de παλαιός / palaiós, « ancien » ;
  • -ontos, de ὄντος / óntos, participe présent au génitif du verbe εἰμί / eimí, « être » : « étant » ;
  • -logie, de λόγος / lógos, « l'étude, le discours ».

Descriptif[modifier | modifier le code]

Tombe à oursins fossiles de l'âge du bronze de Dunstable Downs (Bedfordshire, Angleterre). Dessin tiré de Man, the primeval savage (W. G. Smith, 1894).
La scène supérieure de cette céramique à figures noires de la Grèce antique (vers 550 av. n. è.) montre la délivrance d'Hésione par Héraclès qui envoie des flèches au monstre marin Céto (à droite) pourvu d'un grand crâne diapside semblable à ceux de nombreux dinosaures[6]. Musée des Beaux-Arts (Boston).
Le snakestone, une ammonite Dactylioceras du Yorkshire qui a été sculpté en « serpent pétrifié » évoquant la légende de sainte Hilda de Whitby (614-680). Cliché J. St. John.

Située au croisement des sciences naturelles et des sciences humaines, l'ethnopaléontologie décrit les relations entre les fossiles et les hommes, de leur lieu d'extraction ou de collecte, aux sépultures humaines qui en contiennent, parfois des monuments ou habitations qui les utilisent comme décorations et les éventuelles croyances pouvant leur être associées.

Utilisation des fossiles dans les cultures antiques[modifier | modifier le code]

Les fossiles ont, dès la préhistoire, servi à sculpter des amulettes : ainsi, un trilobite silurien sculpté au Magdalénien (15 000 ans av. J.C.) a été trouvé dans un refuge rocheux, par la suite nommé grotte du Trilobite en référence au fossile, à Arcy-sur-Cure (Bourgogne, France)[7] ; en Australie ce sont les aborigènes qui ont utilisé à cet effet des fossiles cambriens. Dans l'ouest de l'Utah (États-Unis), les Amérindiens Utes ont eux aussi extrait des trilobites Elrathia kingi abondants dans les séries du Cambrien moyen de House Range, pour en faire des amulettes : dans leur langue, cette espèce est nommée timpe khanitza pachavi, soit « insecte de pierre »[8].

Le climat méditerranéen avec ses alternances de fortes précipitations et de sécheresses, favorise l'affleurement des fossiles, par exemple en Provence où des restes d'animaux préhistoriques de grande taille[9] ont pu être perçus comme des « os de dragon » et influencer les mythes de nos ancêtres[10].

Des ossements ou des oursins fossiles pris pour des « œufs de dragon » ou « de serpent », étaient réduits en poudre et incorporés dans la pharmacopée traditionnelle ; entre autres, Pline l'Ancien témoigne de cette pratique[11] également attestée en Amérique latine[12]. Les oursins fossiles ont aussi pu être utilisés dans des sépultures, à des fins peut-être décoratives ou protectrices, comme dans la tombe de l'âge du bronze de Dunstable Downs (Bedfordshire, Angleterre) ou une femme et un enfant sont entourés d'un cercle de plus d'une centaine d'oursins fossiles extraits des roches de la région, des espèces Ananchytes ovatus et Micraster coranguinum[13],[14].

L'historienne Adrienne Mayor rappelle que beaucoup de lieux liés aux mythes grecs sont de riches sites fossilifères[15] et que l'étymologie des ammonites les relie au dieu égyptien Ammon à tête de bélier comme le relate Pline l'Ancien (par leur ressemblance superficielle avec des cornes de bélier)[16].

Nomenclature moderne[modifier | modifier le code]

En sens inverse, depuis l'émergence de la démarche scientifique, la culture populaire intègre de plus en plus la notion de dinosaure qui se juxtapose progressivement à celle de dragon : dans ce contexte, les paléontologues recyclent parfois des noms légendaires pour en faire des noms scientifiques. C'est ainsi que le dinosaure découvert en 1991 lors des fouilles de Jean Le Lœuff et Éric Buffetaut, dans l'Aude, a été nommé « Tarascosaure » (Tarascosaurus salluvicus), en référence au mythe provençal de la Tarasque[17], tandis qu'un autre dinosaure théropode d'Europe centrale exhumé en août 2010 dans les Carpates roumaines a été appelé par ses découvreurs Balaur bondoc (« Dragon trapu » en roumain)[18].

Références[modifier | modifier le code]

  1. Lucie Plançon, « Fossiles funéraires », in Espèces n° 51, mars 2024, pp. 48 à 55, (ISSN 2256-6384).
  2. Lucie Plançon, « Collections et collectionneurs de fossiles en Normandie, approches pluridisciplinaires », Université de Reims, 2021.
  3. Éric Buffetaut, Fossiles et croyances populaires : une paléontologie de l'imaginaire, éd. Le cavalier bleu 2023, (EAN 9791031805894)
  4. Annales de la Société des Sciences industrielles de Lyon, impr. Storck, année 1867, page 91 [1].
  5. Gabriel de Mortillet, La Préhistoire : origine et antiquité de l'homme, libr. Schleicher Frères, coll. « Bibliothèque des sciences contemporaines », Paris 1883, p. 16).
  6. Michael J. Benton, (en) Vertebrate Palaeontology, Blackwell Science Ltd., Oxford 2005, 3e éd., (ISBN 0632056371).
  7. Alexandre Parat, Les Grottes de la Cure (côte d'Arcy), pp. 1-40 : « La grotte du Trilobite » (p. 1-40), 1903, [2].
  8. Joleen Robinson, (en) « Tracking the Trilobites », in Desert Magazine d'octobre 1970.
  9. Karin Peyer, Sylvain Charbonnier, Ronan Allain, Emilie Läng & Renaud Vacant, (en) « A new look at the Late Jurassic Canjuers conservation Lagerstätte (Tithonian, Var, France) » in Comptes Rendus Paléontologie, vol. 13, 2014, pp. 403-420, [3].
  10. Éric Buffetaut, Fossiles et croyances populaires, une paléontologie de l'imaginaire, éd. Le Cavalier bleu 2023, (ISBN 979-10-318-0589-4).
  11. Alexandra Van der Geer, Michalis Dermitzakis, (en) « Fossils in pharmacy: from "snake eggs" to "Saint's bones", an overview » in Hellenic Journal of Geosciences n° 45, pp. 323–332, [4].
  12. Geraldo Jorge Barbosa-Moura et Ulysses Paulino Albuquerque, (en) « The first report on the medicinal use of fossils in latin America » in National Library of Medicine (NIH) du 29 sept. 2011, DOI 10.1155/2012/691717, [5].
  13. (en) Natalie Armitage, The Materiality of Magic: An artifactual investigation into ritual practices and popular beliefs, Oxbow Books, (ISBN 9781785700132, lire en ligne)
  14. Henry Rothwell, The Bronze Age Dunstable Echinoid Burial - [6].
  15. (en) Adrienne Mayor, The First Fossil Hunters: Paleontology in Greek and Roman Times, Princeton University Press, , p. 157-165.
  16. Encyclopédie de Diderot et d'Alembert.
  17. Jean Le Loeuff and Eric Buffetaut (1991). « Tarascosaurus salluvicus nov. gen., nov. sp., dinosaure théropode du Crétacé supérieur du Sud de la France » - (« Tarascosaurus salluvicus nov. gen., nov. sp., a theropod dinosaur from the upper Cretaceous of Southern France »). Geobios, 24(5): 585-594.
  18. (en) Csiki Z., Vremir, M., Brusatte, Stephen L. et Norell, Mark A., « An aberrant island-dwelling theropod dinosaur from the Late Cretaceous of Romania », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, vol. 107, no 35,‎ , p. 15357–15361 (PMID 20805514, PMCID 2932599, DOI 10.1073/pnas.1006970107, Bibcode 2010PNAS..10715357C).

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]